Célia Untitled

Poète et Performeuse

[Paillasson],

Vernissage exposition J EUX, Lidwine Rupp Gallery, Novotel PPO, 30.05.2024, performance

[Jeu de hasard, jeu de cache-cache, de ballon, de mots, jeu d’échec ou jeu d’acteur, le jeu est par définition ce qui me déplace, me décale, voire me fait trébucher. Car, aussi ancienne et répandue que soit cette pratique, elle engage toujours un autre que moi et constitue, en cela, un espace de rencontre. Mais pour rencontrer l’autre, pour que naisse un Nous, il faut en premier lieu, qu’il y ait un Je. Or, c’est précisément en jouant, selon D.W Winnicott, que l’individu, alors créatif, découvre le soi.

Mais, à l’heure de la mondialisation, des réseaux sociaux, de l’IA, et où Paris se targue d’accueillir des « Jeux » Olympiques non-démocratiques, venus accroître dépenses publiques, dépenses énergétiques, injustices sociales et environnementales, y-a-t-il toujours du Je et son corollaire, le Jeu? Le sport de compétition, et à plus forte raison avec de tels enjeux économiques et commerciaux, est-il toujours un Jeu? Quels espaces peuvent nous permettre de sortir d’un narcissisme de masse écrasant, nourri par les écrans, d’un communautarisme identitaire belliqueux ou d’un esprit scientiste objectivant et « abstractivant »? Le monde de l’art actuel et occidental peut-il toujours garantir cet espace de jeu, de liberté créatrice? Comment l’être humain peut-il alors rester une énigme pour lui-même et pour les autres? Abordons les rives ontologiques. Si le Je est cette béance au cœur de l’être, ce néant, comme disait Sartre, elle est aussi ce qu’il y a de plus universel, ce qui nous relie à l’Autre, une sorte de coupure-lien. Comment retrouver de la différance au sens derridien, ouvrir un espace qui ne soit pas dualiste mais plutôt dyadique? Un espace un peu desserré, qui laisserait du jeu, du jour, entre ces rôles que nous interprétons quotidiennement? De même, si pour les poètes romantiques allemands Hölderlin et Schlegel, c’est poétiquement que l’Homme habite la Terre et que « la poésie est le plus englobant de tous les arts », au XXIème siècle, dans un monde désenchanté, dématérialisé, hyperconnecté et pourtant déterritorialisé, qu’est-ce que, et où, y-a-t-il encore de la poésie? Où peut-on faire l’expérience de l’Ouvert de Rilke ou de la « clairière de l’être » d’un Dasein heideggérien? La performance, espace de croisement interdisciplinaire par essence, convoquant à la fois le poète et le philosophe, peut-elle être cet espace potentiel, faisant advenir du Je et du Nous? C’est par une culture et une langue qui lui était étrangère (et paradoxalement dans laquelle le pronom personnel « Je » n’existe pas) que Célia Untitled a trouvé un point d’ancrage, l’endroit qui lui semblait le plus juste et le plus approprié pour l’interroger. En japonais, et contrairement au cogito de Descartes, Je (traduit ultérieurement par Uchi désignant l’Espace privé), se construit toujours en relation à l’Autre ou à son milieu. L’espace physique, l’espace social et l’espace mental, intimement liés, constituent une gradation. Privé/public, dedans/dehors, visible/invisible, ombre/lumière ne sont pas considérés comme des contraires mais comme complémentaires, l’un ne marchant pas sans l’autre. Ces ambiguïtés assumées sont présentes dans la notion du Ma. En japonais, le Ma signifie l’espace, le temps mais aussi l’interstice, l’intervalle, un vide qui est un plein dans lequel s’engouffre l’ineffable. Du sanctuaire à la maison, en passant par le jardin, le kekkai (le seuil), est cet espace pensé qui sépare et qui relie, donc lieu de rencontre. Tout comme l’espace de Jeu réel et symbolique. Plus précisément, le Genkan (le vestibule), est la première pièce qui sépare le dehors du dedans et qui mènera progressivement vers l’Oku, le fond de la maison, le fond des choses. Lors du vernissage de l’exposition JEUX organisé par Lidwine Rupp Gallery au Novotel Paris 14 Porte d’Orléans et à l’aune des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024, Célia Untitled propose la performance [Paillasson]. Elle s’inscrit à l’inverse du caractère spectaculaire et donc compétitif de la performance qui manque, en cela même, sa visée transgressive. Allongée à même le sol, au seuil de l’hôtel, dans ce lieu de l’Ouvert, elle souhaite, en surprenant les visiteurs, les dévier de leur trajectoire, les déplacer, et donc, par là même, ouvrir un espace de Jeu. Incarnant à la fois l’espace de transition, un objet qui le symbolise, le paillasson, et l’espace relationnel, elle espère que son corps, faisant coupure-lien, pourra faire advenir du Je en même temps que du Nous. De plus, elle questionne une vision « Olympique » de l’artiste et du poète présenté trop souvent comme un démiurge, une sorte de surhomme érigé sur piédestal, qui crée seul dans son studio, pour lui opposer celle, à son sens plus fidèle, clamée par Albert Camus en 1957 dans son Discours de Suède. Celle d’un être « qui se forme dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher ». L’artiste, en prise avec le réel, sensible et vulnérable, doit rester humble, proche du sol et de la terre pour mieux sentir battre son cœur chaque fois qu’il vibre à l’unisson du Monde. [Paillasson] est une référence à Trois petits chats, qu’elle fredonne. Cette célèbre comptine a beaucoup de versions car d’une très grande liberté créative. Chaque nouveau mot commence par la syllabe qui le précède. Elle se chante à deux et implique un jeu de mains. Il lui a fallu, pour l’occasion, retrouver le chemin de la version qu’elle avait apprise, et donc, de son enfance. Que dit-elle immobile et sans paroles? Le public ne verra-t-il et n’entendra-t-il qu’une même et longue phrase musicale ou le replongera-t-il dans un autre espace relationnel?]